Je vois une certaine complémentarité entre, sur Facebook, le “coup de gueule” du philosophe André Comte-Sponville et, sur Arte, un reportage sur le déconfinement à Pékin.
La question de l’après confinement ne se résout pas dans le fait de comparer la crise sanitaire aux autres crises, politique, écologique, crise de civilisation, pour la relativiser. Il semble à ce propos qu’André Comte-Sponville soit d’ailleurs revenu sur sa déclaration de départ, trop radicale : précisément en termes de douleur, on sait qu’elle ne peut être quantifiée et on se sert d’une échelle subjective de 0 à 10. Exactement comme s’agissant d’une guerre et plus spécifiquement d’une occupation, les conséquences de la pandémie sont multiples et celles qui atteignent Comte-Sponville, des jeunes de banlieue, les habitants d’un EHPAD, vous ou moi peuvent être certes comparées mais pas relativisées les unes par les autres.
L’orientation générale de la philosophie d’un André Comte-Sponville est le bonheur : il n’est certes pas le seul auteur dans ce cas mais le principe de la recherche du bonheur peut justifier de graves défauts comme la superficialité, l’hypocrisie, l’égoïsme, le pacifisme laxiste, l’indifférence, l’optimisme inconséquent. Il faut à tout le moins corréler la recherche du bonheur à l’altruisme pour y accorder un peu de sens, ce qui pose un problème bien repéré par des auteurs comme Cynthia Fleury, celui du soin. Au fond, seuls les soignants peuvent être légitimement heureux dans cette période, et nous sommes tous, en acceptant le confinement, un peu des soignants. Et ceux qui travaillent dans des conditions difficiles, les éboueurs, les maires, les bénévoles des associations… Sauf que nous souffrons des décès de nos proches, et des conséquences économiques pour tous, (les démunis les premiers).
La question n’est pas le partage entre bonheur et santé, les uns proposant le bonheur par la santé, coaches sportifs et sophrologues en tête, les autres la santé par le bonheur avec le yoga du rire par exemple : ce sont des notions psychologiques auxquelles tous les philosophes ne s’intéressent pas.
La question de “l’après” me semble mieux posée dans l’opposition entre le modèle autoritaire chinois qui a décrété une sorte de bracelet numérique à travers un QR Code-santé capable de calculer, en temps réel, vos droits à circuler et les différents modèles occidentaux qui autorisent politiques, médecins, économistes et intellectuels de toutes spécialités à injurier le présent en prédisant l’avenir, dans un brouillard médiatique poisseux et narcissique.
Il y a une part de prophétie dans toute responsabilité intellectuelle : en politique, on dit que gouverner c’est prévoir. Comme chercheur, comme philosophe, ce qui me semble juste aujourd’hui, c’est plutôt de relire (pour moi seul) les prévisions sous-jacentes contenues dans mes textes publiés, mais aussi dans mes projets et dans mes actes, passés, à l’aune de ce que nous observons maintenant.
Il ne s’agit pas d’avoir été sur tel ou tel sujet un bon lanceur d’alerte, (ce ne sera pas à moi d’en juger), mais d’affiner au jour le jour mon “logiciel” de pensée, cet instrument de mesure et d’enregistrement du réel, ouvert à notre intelligence collective.
Amis, ne vous attendez pas à ce que retombe bientôt le mot d’ordre que les populistes répandent à défaut de l’appliquer : intellectuels ne ramenez pas votre science sur les plateaux télé ou Youtube ! L’heure est à la sobriété, à la démocratie continue, aux décisions partagées et à la réinvention obstinée des codes de comportement.
Christian Lévêque, 17 avril 2020, revu le 25